"Le nouvel homme fort de la Grèce, Alexis Tsipras, vu par…le dessinateur grec Elias Tabakeas, de CartoonMovement."
Illustration et commentaire pris sur VoxEurop.eu
Alexis Tsipras
Euro qui comme Ulysse?
En tête des sondages, le leader grec de l'extrême gauche, qui se voit déjà Premier ministre, ne souhaite pas sortir de l'euro
LES Grecs anciens ne buvaient pas le vin pur, mais le coupaient d'eau dans un vase nommé "cratère"...La météorite d'extrême gauche de la politique grecque, Alexis Tsipras, tout juste 40 ans, qui fait hurler au "chaos" les marchés et les dirigeants européens, a, de fait, mis de l'eau dans son vin depuis qu'il a raté de peu le poste de Premier minitsre de son pays, il y a deux ans. Deux législatives coup sur coup avaient alors propulsé son parti, Syriza (acronyme de "coalition de la gauche radicale") de 4,6% en 2009 à 16,7% le 6 mai 2012, puis à 26,9% le 17 juin.
Réputé "d'un calme olympien" et résolu à ne pas rater la Villa Maximos - le Matignon athénien - lors d'une troisième législative anticipée, ce 25 janvier, Tsipras a désormais abjuré toute vélléité de sortir de l'euro. En janvier 2013, il a même déclaré, devant la Brookings Institute, un think tank libéral de Washington: "J'espère vous avoir convaincus que je ne suis pas aussi dangereux que certains le pensent!"
L'hiver dernier, il a été poussé par Pierre Laurent, le secrétaire général du PCF, à être le candidat du Parti de la gauche européenne à la présidence de la Commission de Bruxelles. Mais Tsipras a ensuite déclaré soutenir Jean-Claude Juncker au nom de la logique démocratique interne du Parlement de Strasbourg. Le chef de file social-démocrate, l'Allemand Martin Schulz, a même déclaré à cette occasion à sa consoeur Pervenche Berès: "On peut discuter avec Tsipras, alors qu'avec Mélenchon c'est impossible!"
Et la dette teutonne, nom de Zeus!
Avenant et souriant, chemise blanche et costard sans cravate, Tsipras se dépense pour donner un visage humain à sa "gauche radicale". Né quelques jours après la chute du régime des colonels, en 1974, l'ado déjà rhéteur a vite quitté les Jeunesses communistes du KKE, un des derniers partis staliniens d'Europe, et s'est révélé lors des grèves lycéennes de 1990-1991 en réclamant le "droit à sécher les cours" et en négociant avec le ministre de l'Education! Ingénieur du génie civil, il a ensuite épousé son amour de lycée, avec qui il a eu deux fils, dont le second se prénomme Orphée-Ernesto, en hommage à Che Guevera...revenu des enfers? Tout un programme!
Affichant un portrait de Fidel Castro dans son bureau ("Le Figaro, 31/12), Tsipras ne réclame plus, comme en 2012, l'annulation totale de la dette grecque (qui s'élève désormais à 175% du PIB)...mais une remise des deux tiers! En martelant que la dette de l'Allemagne avait été réduite de moitié, en 1953, par ses 21 créanciers, dont la Grèce. Et il demande l'abolition des coupes saignantes d'"austérité barbare" imosées depuis quatre ans par la troïka (FMI, BCE, Commission européenne) en échange de l'injection de 240 milliards d'euros...
C'est là que le bât blesse: "Rester dans l'euro ne suffit pas, il faudra tenir, au moins en grande partie, les engagements de remboursement déjà pris", explique le commissaire européen à l'Economie, Pierre Moscovici, dont le voyage à Athènes en décembre dernier a été interprété (à son grand dam) comme un soutien au gouvernement sortant de Samaras..."Il est vraique la récession de 27% du PIB grec est insupportable, monstrueuse. Mais la Commission est un interlocuteur olus flexible que le FMI et elle est prête à remplacer la troïka par une surveillance très allégée, tout en ouvrant une ligne de crédit de 10 milliards d'euros pour la relance..."
Le ton est plus sec à Berlin: selon le site du "Spiegel" (3/1), Angela Merkel laisse entendre que l'arrivée au pouvoir de Tsipras ramènerait de fait la Grèce à la case "sortie de l'euro". Or ce "Grexit" (éjection de la Grèce hors de la monnaie unique) a déjà bien failli se produire. De l'aveu d'un conseiller de l'Elysée, c'est Hollande qui, lors d'un dîner le 23 août 2012, a convaincu in extremis Angela Merkel de renoncer, alors que tout avait été prévu par son ministre Schäuble et par Mario Draghi, le président de la BCE...
Perpétuellement en campagne, Tsipras multiplie les promesses à ses concitoyens saignés à blanc: rétablissement du smic, création de 300 000 emplois, élargissement de l'assurance-chômage, gratuité des services de base au-dessous du seuil de pauvreté, mise en place d'un New Deal européen...
Champion olympique des promesses
"Comment tenir toutes ses promesses avec des caisses presque vides? s'inquiète Daniel Cohn-Bendit. Tsipras est pragmatique, il évoluera sans doute au pouvoir, mais il ne dit rien des responsabilités partagées des Grecs dans leur crise, ni des problèmes de fond posés par l'armée, l'Eglise ou l'absence de réelle adminstration fiscale." L'ex-leader des Verts européens se montre un brin désenchanté: "Il me fait un peu penser à Lula avant son élection: un syndicaliste issu de la gauche de la gauche, on allait voir ce qu'on allait voir! On a vu..." Et il ajoute une mise en garde: "Si Tsipras déçoit, les électeurs risquent de se tourner, à l'inverse, vers l'extrême-droite. Or la société grecque, qui est restée très autoritaire, n'est pas à l'abri d'un coup d'Etat militaire..."
Bref, si Tsipras parvient à se faire élire malgré le grand air de la peur joué par ses adversaires de tout poil, il est condamné à réussir!
David Fontaine
Le Canard Enchaîné, 7 Janvier 2015, page 7, rubrique "Prises de Bec"