IL Y A 30 ANS, POITIERS VIVAIT SON COUP D'ETAT DU "2 DECEMBRE"
Mais celui-ci fut sans lendemain
Les Français connaissent (en principe) leur Histoire et n'ignorent pas le "coup d'Etat du 2 décembre".
Rappelons quand même que ce jour-là de l'année 1851, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, après avir été élu président de la République le 10 décembre 1848, dissolvait l'Assemblée Nationale et faisait arrêter les personnalités républicaines et royalistes avant de se faire plébisciter empereur.
Poitiers, il y a 30 ans aujourd'hui, eut "son" coup d'Etat du 2 décembre, mais il avaorta.
Faisons donc un peu d'histoire.
Depuis la Libération (5 septembre), les groupes de maquisards vivaient à Poitiers et dans la région avec une certaine autonomie.
Mais depuis plusieurs semaines, la reprise en main par le pouvoir civil légal s'effectuait, doucement, pour ne pas heurter les susceptibilités.
Les maquisards qui n'avaient pas rejoint leur foyer souscrivaient des engagements pour l'armée régulière en choisissant leur unité. Pendant ce temps, d'autres groupes étaient incoporés dans l'armée et bien souvent rejoignaient les fronts de La Rochelle et de Saint-Nazaire, où les Allemands continuaient à résister, assez durement parfois.
A Poitiers, un officier supérieur de l'armée régulière qui s'était illustré dans le maquis, le colonel Fournier, était devenu commandant de la 9ème Région militaire.
Il semblerait que cet officier ait mêlé parfois la plitique à ces fonctions militaires et on l'aurait convié à demander à être affecté dans une "unité coloniale".
Il fut muté.
Le "Front National" éleva alors une véhémente protestation arguant que le passé militaire du colonel Fournier était parfaitement compatible avec une activité "politique et patriote".
Dans le même temps, le général Angenot était nommé commandant de la 9ème Région militaire à Poitiers.
C'en était trop! La commission militaire du "Front National", avec l'aide de plusieurs groupes de maquisards de la région venus par camions, inivtait le soir du 2 décembre 1944, à 18h, à manifester contre M. Schulher, commissaire de la République, qu'ils accusaient d'être à l'origine de la mutation.
"Tataouine", chef de la musique du 125e R.I. qui venait de se reconstituer avec la fusion de plusieurs groupes, marchait en tête avec ses "musiciens-maquisards" au son d'un air célèbre que les vieux Poitevins se rappellent pour l'avoir entendu chaque jour pendant des semaines après la Libération...
Il y avait là beaucoup de monde souvent armé jusqu'aux dents...
La police ne pouvait et ne fit rien...
La Préfecture envahie
Une délégation demande à rencontrer M. Schulher.
Mais pendant ce temps, les grilles ne furent plus un obstacle et des complicités intérieures aidant, la foule des manifestants envahit le commissariat régional de la République et la prefecture.
Certes on demandait le maitien du colonel Fournier.
Mais aussi on réclamait un ravitaillement meilleur.
Pendant plus d'une heure, les bureaux, les appartements de M. Schulher furent fouillés et saccagés en partie tandis que l'argenterie et des vêtements chageaient de propriétaires!
Retour à la légalité
A 20h, tout était terminé.
"Cedant, arma, togae", aurait dit Cicéron en défendant la République romaine.
L'autorité civile, désireuse de voir les militaires se soumettre, allait terni fermement. Fallait-il envisager une répression immédiate et catégorique,
On y pouvait songer, mais l'exécution "chirurgicale" des lois ne se fait pas sans risque aux époques de fièvres.
Et puis, les enfants du maquis avaient conquis la gloire par la bravoure avant d'avoir appris la discipline militaire.
Comment ne pas en tenir compte?
On fut patient, c'est-à-dire "politique".
Quarante-huit heures plus tard, le comité départemental de Libération se réunissait. Tout n'alla pas sans heurt, toutefois les dissensions, ô combien marquées, s'aplanirent peu à peu entre les fractions et, à Poitiers comme partut ailleurs, "la légalité républicaine" revint.
Les partis politiques dans notre ville (comme ailleurs) à partir de ce moment de notre histoire locale, recommencèrent à cliver les hommes qui jusqu'alors avaient été unis dans l'espoir qui les avait guidés...
Jean PERICAT
La Nouvelle République, Lundi 2 Décembre 1974.
Une presse "libre" réapparait; en fait elle n'exprime que les opinoons officielles. Le Libre Poitou se présente comme "l'organe régional du Comité Départementale de Libération"; la Nouvelle République du Centre-Ouest (dont le siège est à Tours) écrit pratiquement les mêmes choses. Hebdo-Maquis, organe hebdomadaire officiel des F.F.I., paraît entre le 14 juillet 1944 et le 29 mars 1947, et n'apporte pas une vue différente des évènements. On trouve dans les trois publications de nombreux détails relatifs aux exactions et aux crimes des Allemands ou de leurs complices, la même extrême émotion à l'évocation de la liberté retrouvée et de la France libérée, la même exaltation "anti-boche" qui rappelle les lires outrances de la presse au cours de la Première Guerre mondiale. Les excès sont tes que des juristes universitaires rappellent dès le 23 septembre qu'il faut respecter la justice, garder les formes légales et que le droit est toujours le fondement de la démocratie.
On sent les nouveaux responsables partagés entre le souci de garder une certaine mesure et l'inquiétude née des appels à la répression qui viennent de plusieurs côtés. Le 8 septembre, Max Survylle décrit en les approuvant diverses exécutions sommaires sous le titre: "Les F.F.I. épurent la Vienne". Le 11 septembre Pierre Guillon déclare au Conseil municipal: "L'indulgence serait aujourd'hui une faute". Le 20 octobre le C.D.L. proteste contre la lenteur des incarcérations des fonctionnaires préfectoraux; le 23 novembre, il veut "réprimer tous les sabotages". Néanmoins, en décembre, les accusations se multiplient contre les nouvelles autorités, accusés d'une trop grande complaisance envers les collaborateurs; des manifestants envahissent la préfecture, y compris l'appartement du commissaire de la République; ils appartiennent au Front National (très proche du parti communiste), sont accompagnés de troupes encadrées et armées, et même d'une musique militaire! La condamnation de ces actes figure dans la presse du 5 décembre sous la plume du juriste Daniel Villey.
Ce grave incident est l'expression des vives tensions persistant dans un pays qui côtoie l'anarchie depuis près de six mois. En octobre la disparition du baron Reille-Soult, figure régionale connue, était apparue comme le symbole de l'insécurité persistante. De temps à autre un certain groupe "Soleil", venu de la région de Limoges, opérait dans le sud de la Vienne des "raids" de pur banditisme. Encore au mois d'août 1945 Jean Schulher se plaint de ce que trois suspects de collaboration, libérés après un jugement régulier, aient été aussitôt assassinés, dès leur retour en Vendée.
"Histoire de Poitiers", sous la direction de Robert Favreau, 1985, p. 405.